« Jeune marin suivant les étoiles qui nimbent la voute céleste se perdra dans les eaux glacées du nord avec les seuls lueurs boréales pour compagnes »Les voyantes avaient d’originales prédictions, voilà ce que pensaient tous les marins qui accostaient sur les rives de Lordaeron. Thelion était de ceux qui ne croyaient aux prédictions des vieilles femmes. Son navire partait demain à la première heure et il devait trouver le sommeil avant d’être incapable de hisser les voiles lorsque le jour pointerait. Cette magicienne à la peau fripée lui avait prédit une découverte incroyable qui lui couterait beaucoup. Autant de quoi réjouir le jeune garçon que de le terrifier. Il finit par se laisser emporter par le flot des rêves, s’éveillant quelques instants avant le départ de son bateau. Il attrapa son maigre sac au pied de son lit et courut jusqu’aux docks.
Le capitaine lui lança un regard en coin lourd de reproche, tandis que le jeune marin prenait son poste et que déjà le second hurlait les ordres depuis la barre. Thelion fut rapidement rejoint par un jeune homme fébrile et amaigrie, prénommé Valen. Tous deux s’occupaient de l’une des voiles. Rapidement les deux jeunes garçons se lièrent d’amitié avec Rokar et Midrehys. Un humain originaire de Gilnéas ayant fui sa patrie car il croulait sous d’innombrables dettes et un quel’dorei banni de sa maison après avoir choisi mis une jeune fille d’une autre famille noble enceinte. Les quatre compères partageaient tous ce sentiment d’exclusion. Thelion avait perdu ses parents et sa sœur il y a quelques années lors d’un incendie. N’ayant plus rien, il s’engagea dans la marine pensant y faire fortune un jour.
Valen, lui, parlait très peu. Il écoutait ses nouveaux compagnons d’une attention placide, l’œil alerte et la mine douce. Quelque chose en lui semblait éloignée, comme s’il avait un fantôme qui planait au-dessus de sa conscience. Mais cela n’empêcha pas Thelion de se lié d’amitié avec lui.
Après une semaine de navigation, une tempête déchira la mer. Les vagues roulèrent, si hautes, que l’on aurait cru que des dragons surgissaient de la mer pour engloutir le navire. Les marins, tous sur le pont subissaient sans répit les assauts de l’océan furieux. Et le bateau coula. Une vague plus haute que toute celle la précédant déchira la coque en son centre, d’une balafre gigantesque s’engouffra milles vaguelettes tandis que les hommes du navire se retrouvèrent dans l’eau gelée. Les vagues continuèrent à déferler sans trêve, séparant les marins. Les plus courageux se saisirent des débris pour fabriquer un radeau de fortune. La félicité sourit à Thelion, Rokar, Valen et Midrehys qui trouvèrent une large planche permettant à tous de monter dessus. Ils s’y accrochèrent avec l’énergie du désespoir, priant la lumière pour que la tempête cesse. Midrehys avisa longuement le ciel étoilé de cette nuit-là, espérant secrètement que ce n’était pas la dernière fois qu’il le contemplait.
Le jour se leva sur le radeau, la mer redevenu placide laissa devant les survivants un désert aquatique vide de toute vie. Rokar se saisit d’un morceau de la planche et rama avec, dans une direction qu’il espérait mener à une cote. Leur navigation dura. Sans eau ni nourriture, les quatre hommes passèrent les jours qui suivirent à dépérir en fixant le ciel ensoleillé. Lorsque le troisième jour vint, Rokar, trop affaibli pour ramer d’évanoui quelques instants. Réveillé par Midrehys, ce fut Thelion qui reprit l’entreprise de faire ramer le radeau. Leur long voyage continua, assoiffé, affamé, ils subsistaient du mieux qu’ils purent, jusqu’à ce que les bras de Thelion refusent de continuer. Velan vint prêt de son ami, l’intimant d’arrêter.
« -Ne te fatigue pas. Nous sommes condamnés…
-Non, je suis certains que l’on va atteindre une terre.
-Midrehys a à peine réussi à ramener Rokar, nous sommes morts de faim, de soif et de fatigue… Economise tes forces.
-Terre en vue ! »
Le cri de l’elfe interrompit les deux dans leur discussion, ils se tournèrent vers ce dernier, avisant la terre. Fou de joie, ils ramèrent tous en cœur, jusqu’à atteindre la cote inconnu. Les plages étaient inhabitées et donnaient sur d’immenses plaines. Au loin, on apercevait les montagnes qui encerclaient l’endroit. Valen posa pied à terre et commença à donner des directives. Midrehys devait trouver de quoi nourrir et restaurer le groupe, Thelion lui, de quoi faire un abri. Lui, veillerait sur Rokar.
Tandis que les deux désignés s’éloignèrent, il installa Rokar dans l’herbe fraiche, ce dernier le regarda faiblement dans les yeux…
« -Tu es une fille… murmura le marin entre ses lèvres desséchées.
-Oui, répondit simplement Valen. »
Les jours qui passèrent furent une renaissance. L’endroit regorgeait de ressources, ils s’étaient installé non-loin d’une rivière, à quelques centaines de mètre de la plage. Tandis que le temps filait, les naufragés se demandèrent comment ils pourraient regagner leur terre natale. Rokar se rétablit, ne lâchant plus Valen des yeux, la découverte de l’identité véritable de la jeune demoiselle l’avait troublé. Il avait cru déliré suite aux jours difficiles qui s’étaient écoulés mais ce n’était pas le cas. Il voyait clairement sous la chemise d’homme de leur compagne ses hanches discrètes et sa légère poitrine se dessiner.
Tandis que la jeune femme continua à jouer le jeu auprès de Midrehys et Thelion, elle occupa de plus en plus la place de commandante. Elle attribuait les taches, gérait la vie du groupe au mieux. Si bien qu’une semaine après leur accostage sur cette terre inconnu, ils avaient tous repris bonne mine et santé florissante. S’étant construit une cabane de fortune, ils vivaient au mieux en réfléchissant à un moyen de rentrer chez eux. Le plus simple qui leur apparut fut de construire une barque et de ramer le long de la cote. Ce qu’ils firent.
Ils logèrent ainsi la cote, accostant chaque jour pour s’alimenter et après plus d’un mois de navigation, ils regagnèrent les clairières de Tirisfal. Lorsqu’ils accostèrent enfin au premier port rencontré, sous les yeux ébahis des marins et des dockers. Une quinzaine de garde vint entourer leur embarcation, dévisageant ses occupants. Un lieutenant de la garde s’approcha d’eux, son tabard de Lordaeron flottant dans la brise matinale.
« -Nom, prénom et origine. Déclara-t-il sèchement. »
Les quatre déclinèrent de bonne grâce les informations demandées, avant de se voir saisit par les gardes et entrainés vers les cellules les plus proches.
Les jours passèrent sans que personne d’autre qu’un enfant maigrichon qui leur apportaient leurs repas ne daignent se montrer.
« -Pourquoi nous avoir enfermé ? Se questionna à haute-voix Midrehys.
-J’ai des dettes de jeux mais je doute que mes créanciers est fait parvenir leur recherche jusqu’ici.
-J’ai été banni il y a longtemps de ma famille, ce n’est pas moi que l’on cherche.
-J’ai tout perdu après un incendie, je n’ai rien, ni personne qui souhaiteraient me retrouver.
Les trois compères se tournèrent vers Valen.
-Je suis désolée de ne pas vous avoir avertie avant… Mon véritable nom est Valena Eldrith. J’ai commis l’impensable il y a peu, mon oncle me faisait d’horrible avance depuis si longtemps, qu’un jour ne supportant plus ses méthodes, je me suis saisie d’un couteau. J’ignorais qu’il décèderait de ses blessures. J’ai fui en me faisant passer pour un jeune orphelin et me suis engagée dans la marine dès que j’ai pu. »
Le silence régna sur la cellule, tandis que les trois hommes dévisagèrent leur amie. Lorsque l’aube du cinquième jour pointa, un garde munit d’un heaume décoré et de plusieurs médailles vint à la prison. Les hommes d’armes emmenèrent Valena, laissant les trois dans l’attente. Les heures s’écoulèrent lentement sans que ni les gardes ni la jeune fille ne reviennent.
Lorsque la nuit tomba, Valena ne revient pas. Ni les gardes. Les jours passèrent. Puis les semaines… Le temps finit par se distordre sans qu’aucun des trois prisonniers ne puissent se rappeler du nombre de jours s’étant écoulé depuis leur emprisonnement. Thelion finit par se persuader qu’ils avaient exécuté Valena et que jamais ils ne la reverraient.
Lorsqu’un jour d’été, alors que la lourde chaleur emplissait leur cellule exigüe, un garde descendit les marches, accompagné d’une jolie demoiselle. Les trois compères mirent quelques instants à reconnaitre leur camarade, coiffée et habillée en femme et non en corsaire. Elle rayonnait de bonheur, enlaçant chacun de ses amis tandis que le garde les libéra.
« -Valena… Souffla Thelion. Que s’est-il passé ? Ou étais-tu ?
-J’ai tant à vous conter mes amis ! Venez. »
Elle quitta la prison en compagnie de Thelion, Midrehys et Rokar. Dehors, un carrosse richement décoré les attendait. Tandis que les chevaux claquèrent des sabots sur le sol à l’ordre du cocher, Valena entrepris de leur raconter ces deniers mois.
Le capitaine l’ayant reconnu avait bien évidemment informé le comte local de la retrouvaille de cette criminelle, cependant, le petit groupe ayant survécu au naufrage, le comte négocia avec la jeune femme : La liberté de chacun de ses amis ainsi que l’effacement de tout crime si Valena parvenait à les guider jusqu’à l’endroit de leur naufrage. En effet, le capitaine du navire avait réussi à rejoindre le comté, assurant que le navire s’était échoué sur une plage inconnu. Blessé et malade, il mourut avant d’avoir pu guider qui que ce soit vers la carcasse du bateau. Valena se souvient d’avoir vu au loin la dépouille du bâtiment et était persuadé de pouvoir y mener le comte. Ce navire transportait une antiquité familiale valant plus d’or à lui seul que tout le reste de la cargaison. La jeune fille accepta le marché et guida un navire vers les ruines du navire. Lorsqu’elle revint, le comte, ravi d’avoir récupérer la cargaison et son antiquité s’empressa d’écrire au roi. Il vanta dans cette lettre les mérites de ces quatre marins ayant survécus à ce naufrage et ayant permis de récupérer le contenu du navire. Il glissa aussi quelques mots sur la découverte de ce nouveau territoire, coincé entre les montagnes. Le roi répondit sobrement au comte de lui amener ses quatre rescapés.
Lorsqu’ils arrivèrent à la capitale de Lordaeron, ils furent un bref instant par son altesse qui n’échangea que quelques mots. Il appréciait particulièrement le comte et leur accorda la grâce demandé par son fidèle vassal ainsi que la propriété des terres qu’ils avaient découvert. Au cours d’un entretien privé, il anoblie Valena, se nommant dorénavant Valena d’Eldrith, lui accordant le titre de duchesse une fois qu’elle eut prêté serment à son roi. Il fit de ce nouveau territoire le duché d’Aldrenath et accorda une mise de 150 pièces d’or à la jeune fille pour développer cette terre.
Se confondant en remerciement, la nouvelle noble se retira lorsque sa majesté en eut terminée.
Thelion, Rokar et Midrehys félicitèrent leur compagne, se réjouissant pour elle. Valena tenant trop à ses amis, proposa à chacun de l’aider dans l’exploitation de sa nouvelle terre. Elle divisa le duché en trois parties : Le comté de Sylfarn, qui couvrait à l’époque le territoire de l’actuel comté et du vicomté, la baronnie d’Ovral, n’ayant pas changé avec le temps, et le Comté de Temrerlyn, qui couvrait en plus de ses terres présentes, la baronnie de Solziale et de Cerelneor.
Ce fut Thelion qui hérita du comté de Temrerlyn, exploitant ses cotes pour la pèche et la culture des crustacés, notamment des huitres qui fournirent de magnifiques perles. Tandis que Midrehys choisi la baronnie d’Ovral, ou il fit prospéré une culture de soie des plus soignés et mis en place l’extraction de nombreuses pierres précieuses, dont le béryl, présent en grande quantité qui fit rapidement office de pierre familiale. Rokar fut heureux d’obtenir le comté de Sylfarn, recouvert de forêts, ou le gilnéen remis au gout du jour les chasses, permettant un commerce de fourrure important, et faisant battre du bois en quantité pour construire de nombreux navires.
Valena fut heureuse d’accueillir la cousine de Midrehys, rompu aux arts arcaniques, qui occupa le poste de mage de cour. La famille Ciem’erial était dorénavant en grande amitié avec la jeune duchesse d’Eldrith tant et si bien qu’elle sert encore la famille actuellement.
Après quelques années de labeur, le duché devient un petit bijou coincé entre les montagnes, lié à Lordaeron grâce à sa flotte et son commerce. Le duché ne produisait que des matières premières qu’il revendait ensuite.
Le temps s’écoula et Valena finit par atteindre ses derniers jours. Mariée et heureuse, elle fit venir ses trois compagnons lorsque sur son lit, elle s’affaiblissait, quelques jours avant sa mort.
« -Mes amis… Vous avez été la meilleur chose que me fut arrivé. Votre présence aujourd’hui est pour moi un réconfort. Je pars en laissant derrière moi un lourd héritage qui n’aurait existé sans vous. Mais… je sais dorénavant qu’une fille a le droit à plus qu’une simple dot et un grand mariage. De mes deux jumeaux, je souhaite que ce soit ma fille qui hérite de mes terres et non mon fils. Je ne doute pas des capacités de mon jeune garçon, mais ici, à Aldrenath, les femmes auront toujours le pouvoir, et ce jusqu’à ce que l’une d’entre nous souhaite changer cet état de fait. Nos hommes ne sont pas bons qu’à faire la guerre. Mon époux s’est occupé avec brio de la diplomatie de notre duché, puisse-t-il en être ainsi pour les prochaines générations à venir. »
Ainsi, la duchesse Valena rendit son dernier soupire peu après. Sur ses ordres, sa première fille devint duchesse à son tour, tandis que son époux s’occupa de la diplomatie interne. Les générations se succédèrent ainsi, et les lignés de Thelion et Vorkar finirent par choisir de diviser leurs terres. Les trois fils de Thelion découpèrent le comté de Temrerlyn en trois, le plus jeune prit la baronnie de Cerelneor, le plus âgé conserva le comté et le cadet hérita de la baronnie de Solziale.
Les deux filles et le fils de Vorkar préférèrent découper le comté en seulement deux territoires. La plus veille obtint le comté et la plus jeune préféra le Vicomté de Syldern. Leur frère choisit de populariser le dressage des chevaux sauvages qui vivaient en forêt et proposa à la nouvelle duchesse de diriger une armée d’archer monté. Cette dernière accepta avec plaisir et avec le temps, les archers représentèrent la seule force militaire terrestre. Ils faisaient office de gardes et d’armée à la fois, comme le territoire n’était pas menacé par voie terrestre.
Après environs une centaine d’année, le duché fut bien ancré dans l’histoire de Lordaeron et s’était forgé sa propre identité. Mais, au coin des rues les plus sombres se murmure encore la prophétie de la vieille voyante.